Et si on se taisait? Si on ignorait tout de ce qu'on
veut dire? Si on arrivait à se tenir là, sans sécurité
face au vide? On accepterait que ce qui s'exprime
l' est par un mystère, une magie, une chose plus
grande que nous et qui nous échappe. Ce qu'on a à
dire, est-ce que ça compte vraiment? Et si nous n'
avions rien d'important à dire, aucun message à
délivrer... Peut-être qu'on pourrait (re)commencer
à peindre.
Tout ce qu'il me faut d'effort pour revenir à un rap-
port simple à la création! Depuis des années, je ne
fais que désapprendre. J'ai décidé que mon seul
maître désormais, c'est le plaisir. Cela n'exclut ni
l'exigence ni la rigueur. N'y voyez pas une facilité!
Déjà, il faut savoir l'identifier. Où est-il? Habitué à
ce qu'on néglige son enseignement, il s'est parfois
réfugié dans des profondeurs à peine accessibles.
Une fois déniché, nous devront le laisser nous gui-
der sans rechigner ni écouter les mauvais élèves
qui ne manqueront pas de semer le doute en vous.
" C'est nuuul!!! Il y connait rien ce prof!" Ou alors:
"Trop facile, tout le monde sait faire ça!!!" Et aussi:
"C'est trop ringard ce truc! Il sait qu'on est au 21ème
siècle ton Maître?!" Etc. Etc. Si les rabat-joies ne
manquent pas à l'extérieur, ils sont bien plus dan-
gereux et difficiles à combattre à l'intérieur de nos
propres têtes. Mais je suis de mieux en mieux ar-
mée et, peu à peu, le silence se fait. J'entends mon
maître et le laisse tenir le pinceau avec moi. Il n'y
a plus de questions, plus de jugement, le plaisir n'
est plus coupable, la voie est libre!! Je patauge
gaiement entre eau et encre. Ni projet ni avenir.
Ni attente ni ambition. Pierre parmi les pierres,
poisson parmi les aprons, libellule parmi les
demoiselles. A la fois légère et lourde.
Claire et obscure. Morte et vive.
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